mercredi 27 mars 2013

Buick Blues ...

Mes parents ont pris le large pour tout le mois de mars. Faute de voiles à lever, ils ont installé leurs pneus d'été et ils ont filé. Sans se soucier de ce qu'ils laissaient derrière. Leur importait que le sud, droit devant eux, qui se rapprochait au même rythme que moi, je m'éloignais.

Ils ne m'ont pas proposé de les accompagner. N'ont soumis aucun itinéraire à mon approbation. Ne m'ont même pas demandé mon avis.  Comme si je n'avais rien à y dire...

On ne demande pas une permission que l'on sait va nous être refusée. On fait à notre tête et on vit avec. C'est ce qu'ils ont fait. Ils savaient que je leur aurais interdit. Pas par peur, comme on interdit à son enfant de jouer dans la rue, ni même par principe, comme on s'interdit une deuxième bouteille de vin. Plutôt par égoïsme. Comme on voudrait interdire à l'été de s'achever.

Officiellement, je suis contente pour eux. C'est vrai, ils le méritent bien.
Officieusement, c'est une tout autre affaire. Et moi, je mérite ça?

C'est que je m'ennuie de ma mère. Pas comme on s'ennuie d'un amoureux, roulée en boule dans le fond de son lit, transie de larmes, le corps secoué de spasmes. Un manque beaucoup plus concret. Comme on s'ennuie de son téléphone intelligent, laissé bêtement sur le coin du comptoir, après être sortie à la hâte, les bras pleins d'enfants et la tête remplie de rendez-vous. Mille fois par jour, on met notre main dans la poche pour le saisir. Mille fois par jour, le même petit vertige. L'angoisse de tous les obstacles d'une journée sans téléphone intelligent. L'angoisse... Un mois complet sans personne à qui poser mes questions existentielles. À combien le four pour le rôti de porc? Est-ce que c'est normal, des frais additionnels de 14 dollars dans mon compte en banque? Est-ce que ça se porte, un habit en velours marine au printemps?

C'est que je m'ennuie de mon père. Depuis 4 semaines, plus personne ne me dit que je suis la plus jolie fille de la soirée. Je n'ai plus de bec sur le front, le dimanche après-midi.  Et plus personne ne partage une bière avec moi pour m'entendre parler de mes bons coups. Il n'y a plus personne qui me félicite pour mes bonnes notes à l'université. En fait, il y en a d'autres... mais leurs yeux ne brillent pas de fierté comme les yeux d'un père. Surtout, il n'y a plus personne qui me dit de prendre soin de moi. C'est vrai. Qui d'autre que les pères pour rappeler à leurs petites filles de prendre soin d'elles?


Il y a 27 jours, mes parents ont franchi les lignes américaines et ont roulé tranquillement pour aboutir dans le sud de la Floride. Comme des centaines de milliers de parents avant eux...
Je sais qu'ils se trempent doucement le gros orteils dans l'océan Atlantique pour voir s'ils s'habitueraient à cette douceur. Je m'attends d'une année à l'autre à ce qu'ils me fassent leur coming out. Un beau matin de décembre, ils vont sortir du garde-robe, valises à la main, en me disant: on est des snowbirds !  Et alors, tout sera dit. Il n'y aura plus rien à faire.

Je tenterai de ne pas les juger.

Moi, j'aime la neige. Ou plutôt, je ne la déteste pas au point de filer vers le sud, sans regarder en arrière...

Jalousie? Peut-être. Ouin, pis?

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