dimanche 2 février 2014

Quand je serai grande, je serai écrivaine

On se réveille un beau matin avec un me-semble-que-je-passe-à-côté qui traîne en background de toutes nos pensées. Un café tiède, des idées embrouillées, une pile de choses à faire immensément plus grosse que celle de choses faites.

«Hier encore, j'avais 20 ans, mais j'ai perdu mon temps à faire des folies, qui ne me laissent au fond rien de vraiment précis, que quelques rides au front et la peur de l'ennui...» Il avait quel âge, Aznavour, quand il a fait ce constat?

On se réveille un beau matin et on réalise qu'il est bien loin le petit rêve immense que l'on brandissait à 12 ans devant notre vie qui commençait. On disait «Voilà ce que je serai!», et on le pensait. On croyait que personne n'y changerait jamais rien et on se braquait contre ceux qui disaient le contraire. On allait leur montrer, qu'on se disait de notre voix intérieure à toute épreuve. On faisait fi des ben-voyons-donc-tu-rêves-en-couleurs dans leurs yeux moqueurs. On se disait très justement que devenus adultes, les enfants ne rêvent plus assez.

À 12 ans, ma future moi allait être écrivaine. Je connaissais déjà l'extase de créer des mondes en enlignant des mots. Je gribouillais des débuts de romans chaque fois que je croisais une feuille blanche. Mon chemin était déjà tout tracé. Je savais ce que j'allais faire plus tard, qui j'allais être.

On ne sait pas, à cet âge-là, qu'il y aura toujours quelqu'un pour te détourner de ton petit rêve immense. Que ce traite s'accorde à la première personne du singulier. Que la routine et le confort développeront une belle complicité pour faire déblatérer ta petite voix intérieure. Et que, jadis de ton côté, elle se donnera un jour à fond la caisse dans la suggestion subliminale. Alors, le ben-voyons-donc-tu-rêves-en-couleurs que tu voyais dans le regard des autres, tu le retrouves dans tes propres yeux, par le reflet de la vitrine d'une librairie où se déroule une séance de signatures d'un auteur qui n'est pas toi.

Quand je serai grande, je serai écrivaine...

Oui, j'écris. Je rédige, je corrige, je crée du contenu. J'ennuie tous mes amis en leur expliquant des théories du complot du genre ''le participe passé employé  avec l'auxiliaire avoir s'accorde avec le complément d'objet direct s'il est placé devant le verbe, sauf si le participe passé est suivi d'un verbe à l'infinitif, auquel cas il demeure invariable, à moins que l'objet désigné par le complément d'objet direct soit à l'origine de l'action exprimée par l'infinitif.'' Et devant leurs regards plats, je réécris leurs textes.

Bref, j'écris, mais je ne suis pas écrivaine.

Aujourd'hui, je ne touche plus à mon roman, ce corps mort poussiéreux qui dort dans un quelconque fichier électronique. Mes deux personnages fictifs sont sur la banquette arrière d'une voiture conduite par une vieille étrangère. Depuis deux ans, le vieux tacot rouillé file sur la 40 entre Montréal et Shawinigan. J'ai hâte pour eux qu'ils arrivent. Ils ont quitté la ville sur un coup de tête; ils doivent être inquiets. Je devrais leur écrire qu'ils vont bientôt découvrir une auberge magnifique qui leur permettra de panser un peu leurs blessures. Leur écrire, pour les rassurer un peu. Ou plutôt pour nous rassurer tous les trois.

Comme ma carrière imaginaire d'écrivaine, leur vie est sur pause. Pourtant, j'ai hâte pour eux qu'ils aillent à la rencontre de leur destin. Même si l'un des deux connaîtra certainement une mort atroce. N'est-il pas mieux de savoir, que de vivre éternellement dans l'incertitude? Aimeraient-ils mieux demeurer pour toujours amoureux et en cavale sur une banquette arrière d'une voiture qui file sans fin, certes incomplets, mais sans peur du lendemain qui ne viendra jamais? Sont-ils angoissés à l'idée que, même si je leur donne une fin, je ne parvienne jamais à les faire éditer? Ah! psychanalyse de bas niveau, quand tu nous tiens...

Dans la vie, on tend à se ménager. On aime mieux être une demie réussite que de n'être pas du tout. Je pourrai toujours dire : «Quand j'aurai le temps, je serai écrivaine.»  C'est mieux que de dire : «Quand j'étais jeune, j'ai essayé d'être écrivaine, mais ça n'a pas marché.»

Et de toute façon, les meilleurs auteurs écrivent toujours lorsqu'ils sont vieux.
Et de toute façon, il faut vivre un peu pour avoir quelque chose à dire.
Et de toute façon, il faut bien attendre d'être inspirée...

Alors, on attend. Que les études se terminent, que le travail se calme, que les enfants grandissent. On attend d'avoir le temps. Et le petit rêve immense se dessine en gris pâle. Les enfants devenus adultes ne rêvent plus en couleurs.


Reste qu'il ne faut qu'une poignée de mots bien alignés pour que mes pensées se perdent dans une poésie bien loin au dessus du réel, et que mes doigts se meurent d'un crayon. Alors, je ressens l'urgence de cahiers éparpillés dans la solitude d'après minuit. Les instants amnésiques causés par des phrases inventées dans le temps figé de la nuit me manquent maladivement. L'euphorie de se réveiller sans pourtant avoir dormi, les yeux cernés et les pensées enfin débrouillées.

De l'écriture, je manque l'extase. L'ivresse.

Voilà pourquoi quand je serai grande, je serai écrivaine.

mercredi 27 mars 2013

Buick Blues ...

Mes parents ont pris le large pour tout le mois de mars. Faute de voiles à lever, ils ont installé leurs pneus d'été et ils ont filé. Sans se soucier de ce qu'ils laissaient derrière. Leur importait que le sud, droit devant eux, qui se rapprochait au même rythme que moi, je m'éloignais.

Ils ne m'ont pas proposé de les accompagner. N'ont soumis aucun itinéraire à mon approbation. Ne m'ont même pas demandé mon avis.  Comme si je n'avais rien à y dire...

On ne demande pas une permission que l'on sait va nous être refusée. On fait à notre tête et on vit avec. C'est ce qu'ils ont fait. Ils savaient que je leur aurais interdit. Pas par peur, comme on interdit à son enfant de jouer dans la rue, ni même par principe, comme on s'interdit une deuxième bouteille de vin. Plutôt par égoïsme. Comme on voudrait interdire à l'été de s'achever.

Officiellement, je suis contente pour eux. C'est vrai, ils le méritent bien.
Officieusement, c'est une tout autre affaire. Et moi, je mérite ça?

C'est que je m'ennuie de ma mère. Pas comme on s'ennuie d'un amoureux, roulée en boule dans le fond de son lit, transie de larmes, le corps secoué de spasmes. Un manque beaucoup plus concret. Comme on s'ennuie de son téléphone intelligent, laissé bêtement sur le coin du comptoir, après être sortie à la hâte, les bras pleins d'enfants et la tête remplie de rendez-vous. Mille fois par jour, on met notre main dans la poche pour le saisir. Mille fois par jour, le même petit vertige. L'angoisse de tous les obstacles d'une journée sans téléphone intelligent. L'angoisse... Un mois complet sans personne à qui poser mes questions existentielles. À combien le four pour le rôti de porc? Est-ce que c'est normal, des frais additionnels de 14 dollars dans mon compte en banque? Est-ce que ça se porte, un habit en velours marine au printemps?

C'est que je m'ennuie de mon père. Depuis 4 semaines, plus personne ne me dit que je suis la plus jolie fille de la soirée. Je n'ai plus de bec sur le front, le dimanche après-midi.  Et plus personne ne partage une bière avec moi pour m'entendre parler de mes bons coups. Il n'y a plus personne qui me félicite pour mes bonnes notes à l'université. En fait, il y en a d'autres... mais leurs yeux ne brillent pas de fierté comme les yeux d'un père. Surtout, il n'y a plus personne qui me dit de prendre soin de moi. C'est vrai. Qui d'autre que les pères pour rappeler à leurs petites filles de prendre soin d'elles?


Il y a 27 jours, mes parents ont franchi les lignes américaines et ont roulé tranquillement pour aboutir dans le sud de la Floride. Comme des centaines de milliers de parents avant eux...
Je sais qu'ils se trempent doucement le gros orteils dans l'océan Atlantique pour voir s'ils s'habitueraient à cette douceur. Je m'attends d'une année à l'autre à ce qu'ils me fassent leur coming out. Un beau matin de décembre, ils vont sortir du garde-robe, valises à la main, en me disant: on est des snowbirds !  Et alors, tout sera dit. Il n'y aura plus rien à faire.

Je tenterai de ne pas les juger.

Moi, j'aime la neige. Ou plutôt, je ne la déteste pas au point de filer vers le sud, sans regarder en arrière...

Jalousie? Peut-être. Ouin, pis?

vendredi 22 mars 2013

C'est juste un blogue...

Alors la voici; la première phrase du premier message de mon premier blogue.

C'est un exercice psychologique pénible. Un saut difficile. On sait que l'eau risque d'être froide. Mais on sait aussi que ça ne fera pas mal. Pas physiquement, du moins. Donc, on se lance. Avec un angoissant ce n'est peut-être pas une bonne idée qui nous passe par la tête...

Il n'y a pas de meilleure façon de se mettre à nu que d'étaler, au hasard de nos humeurs, des lettres noires sur une page blanche. Les paroles s'envolent, les écrits restent. Et veut-on vraiment rester? On rêve si souvent de s'envoler.

Je n'ai aucune idée précise de ce dont il sera question sur ce blogue. Ni aucune idée floue, d'ailleurs.

Par contre, je peux affirmer sans l'ombre d'un seul doute que je ne m'étalerai pas sur les joies du scrapbooking. Il ne sera pas question non plus des habitudes de vie des locaux rencontrés lors de mes quatre voyages tout-compris dans le sud. Et je laisserai les commentaires météorologiques pour les fins observateurs de Facebook qui se soucient de leurs amis sans fenêtre.

Aussi, je ne me servirai pas de ce blogue comme on se sert d'un album souvenir pour répertorier toutes les mignonneries de mes enfants. Oui, j'ai probablement les enfants les plus drôles du monde. Oui, ils sont certainement les plus mignons. Mais bon, si je réussis à tordre mon horaire de folle pour en extraire égoïstement quelques minutes à sacrifier pour ce blogue, ce ne sera quand même pas pour écrire sur ce qui cause mon horaire de folle! Ce qui règle par le fait même le cas du travail et des études. Et, oublions les photos de petits chats, les pensées inspirées de la Prophétie des Andes et les recettes végétaliennes concoctées à partir des légumes biologiques de mon propre jardin.

Alors, voilà. Il reste quoi? Je trouverai bien.

Ou pas.

Je commence ce blogue comme j'enfile, une fois par année, des talons de quatre pouces. J'aime bien la sensation du début, mais ce n'est pas dit que je ne les lancerai pas au bout des mes bras avant longtemps.

Je ne promets pas d'être intéressante. Ni même d'être, point. Il faut comprendre que je n'ai pas de temps. Que je ne suis pas ponctuelle. Ni assidue. Que j'ai une détermination qui s'effrite rapidement. Que mes passions sont multiples et que mes envies prennent parfois des directions complètement éclatées sans crier gare.

Il ne faudra pas m'en vouloir si je ne viens plus écrire. Je ne vous en voudrai pas si vous ne venez pas non plus. On est tous surchargés. Et c'est juste un blogue.